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À l'occasion du 93ème anniversaire de l'Armistice de la Guerre de 1914-1918, voici publiées pour la première fois les lettres de Maurice EVRARD à sa famille. Ces lettres, récemment retrouvées dans les archives familiales, s'échelonnent du 12 décembre 1914 au 24 septembre 1915 (la veille de sa mort). Elles sont adressées à sa soeur (Marie EVRARD, épouse d'Albert DEMARQUAY), à sa nièce (Odette DEMARQUAY), à son beau-frère (Albert DEMARQUAY) et à ses parents (François et Louise EVRARD). Elles sont postées de Nevers (Nièvre), Decize (Nièvre), Yzel-lez-Hameau (Pas-de-Calais), Manin (Pas-de-Calais), Barly (Somme), Lupcourt (Meurthe-et-Moselle), et d'autres lieux non-identifiés.
Sa dernière lettre fut écrite le 24 septembre 1915. Maurice EVRARD disparut le lendemain, 25 septembre 1915, lors des violents combats de "La Butte du Mesnil", dans le département de la Marne. Son corps ne fut retrouvé qu'en janvier 1937 et identifié grâce à sa plaque. Il fut restitué à sa famille le 27 avril 1937, ce furent son frère Charles EVRARD et son beau-frère Albert DEMARQUAY qui se rendirent dans la Marne pour le rapatrier. Les honneurs militaires lui furent rendus à Carrières par des soldats de la caserne de Saint-Germain-en-Laye. Il repose depuis dans la tombe familiale du cimetière de Carrières-sous-Poissy.
Photographies prises en suivant une vague d'assaut le 25 septembre 1915 devant la Butte du Mesnil (Journal L'ILLUSTRATION du 20 novembre 1915)
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Monument aux morts de la commune de Carrières-sous-Poissy | Maurice EVRARD | Acte de décès | Plaque d'identité (recto) EVRARD Maurice 1912 (classe) | Plaque d'identité (verso) Versailles (Bureau de recrutement) 5175 (Matricule au recrutement) | Lettre d'avis de restitution adressée à son frère Charles EVRARD |
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Lettre à Madame Albert Demarquay | ![]() |
5
heures du soir
Samedi 12 décembre 1914
Ma chère sœur,
Tu m'excuseras si je n'ai pas répondu immédiatement à ta lettre du
7 courant que j'ai reçue hier en même temps qu'une à papa et une à Charles.
Parce qu'hier soir je n'ai pu écrire étant obligé de changer de vêtements car
il faut te dire que toute l'après-midi nous avions fait une marche de vingt
kilomètres sac au dos sous une pluie battante et que cet après-midi pour nous
sécher il y avait revue dans la cour de la caserne à l'occasion de la remise de
la légion d'honneur à un capitaine, revue qui eut lieu également sous la pluie…
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Nevers
13
février 1915
Ma chère Marie
J'ai reçu ta lettre du 11 courant à midi. Elle m'a fait grand
plaisir car j'ai vu que la guerre t'a rendue hardie pour voyager ainsi seule
jusqu'à Rouen. J'ai aussi été très content de savoir qu'Albert n'avait pas
grand mal. Quant à moi, ainsi que tu le dis, ils nous font marner tous les
jours maintenant nous faisons du service en campagne la petite guerre tous les
après-midis. Tu me demandes quand je dois partir, j'en sais autant que toi
là-dessus, tout ce que je sais c'est qu'en ce moment tous les matins et soirs
je prends des pilules contre la typhoïde, pilules dites "entéro
vaccin" et ainsi pendant 8 jours parce que je n'ai pas pu être vacciné
contre la typho me trouvant à ce moment-là à l'hôpital. Il paraîtrait que ces
pilules remplaceraient avantageusement le vaccin en ce qu'il faut moins de temps car avec le
vaccin il faut trois piqûres à la seringue de pravaz à une semaine l'une de l'autre.
Tu diras à Charles qu'il faut qu'il s'attende à partir, car partiront à partir
du 15 tous les auxiliaires et les rappelés qui n'ont pas encore été appelés. Je
termine en t'embrassant.
Ton
frère M. Evrard
Lettre à Madame Albert Demarquay | ![]() |
Nevers
5 mars 1915
Ma chère Marie,
Ainsi que tu le dis, je commençais par te croire vraiment flemme
car il y avait rudement longtemps que je n'avais pas reçu de nouvelles de ta
main. Je suis heureux de savoir que Charlotte devient de plus en plus diable,
de savoir que vous êtes tous en très bonne santé. Il était absolument inutile
que tu m'envoies des cartes-lettres car ainsi que tu le vois par la présente je
venais d'en acheter tout un bloc, je t'en remercie néanmoins.
Je crois que nous allons quitter Nevers pour partir en
cantonnement pour pouvoir désinfecter la caserne, les bruits en courent depuis
ce matin, mais on en dit tellement ?
Enfin je termine en t'embrassant bien fort ainsi qu'Odette.
Ton frère M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Nevers
25 mars 1915
Ton frère M. Evrard
40 rue Carnot –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Decize
10 avril 1915
Ayant quitté la caserne hier, je prends la plume pour vous dire de
ne plus envoyer vos lettres à la caserne mais rue Ledru-Rollin car nous sommes
cantonnés dans cette rue dans une vieille maison en délâbre afin de faire de la
place à la classe 16 étant destinés à partir d'un moment à l'autre, on nous a
mis de côté.
Je ne sais si le temps est le même à Carrières, mais hier soir un
orage épouvantable éclatait, les éclairs se succédaient, le tonnerre faisait
rage et à chaque instant il pleut et même tombe de la grêle. Ce matin nous
avons été en marche sous la pluie et nous sommes revenus tout mouillés. Mais
malgré le mauvais temps la santé est toujours bonne et j'espère qu'il en est de
même de tous à Carrières, c'est là mon unique souhait.
Votre
fils qui vous embrasse.
M.
Evrard 79e d'inf. 25e comp. Rue Ledru –Rollin Decize (Nièvre)
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Decize
18 avril 1915
Ma chère Marie
Ton frère qui t'envoie mille baisers. M. Evrard
Lettre à Madame Albert Demarquay | ![]() |
Garnison de Decize
aujourd'hui vendredi 23-04-1915
Encore 525 jours à faire
Ne sachant que faire ce soir car il pleut, j'ai pris la résolution
de te donner de mes nouvelles mais j'en suis bien embarrassé je n'ai rien de
nouveau à t'annoncer. La vie militaire devient de plus en plus douce à Decize ,
pense que nous partons le matin à six heures pour le champ de manœuvre,
aussitôt arrivés nous faisons une heure de pose, quelquefois davantage, puis
deux heures d'escrime à la baïonnette et c'est tout. L'après-midi nous
repartons pour le même champ de manœuvre afin d'organiser des jeux de barres et
de foot ball qui occupent toute la soirée. Ainsi tu vois que nous faisons que
jouer toute la journée, c'est vraiment trop agréable pour que ça dure, aussi un
détachement des nôtres étant parti aujourd'hui pour le village de Champvert
pour former un bataillon de marche, le reste des hommes valides des dépôts
doivent former un bataillon d'alerte qui se tiendrait à proximité des lignes de
feu pour prêter main forte le cas échéant, c'est pourquoi je m'attends à être
habillé un de ces jours pour partir. Je termine en t'embrassant fort.
Ton frère M. Evrard
Lettre à Madame Albert Demarquay
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Garnison de Decize
aujourd'hui 26 avril 1915
Ma chère Marie
Je m'empresse de répondre à ta lettre du 23 que j'ai reçue hier
mais je suis bien embarrassé comme tu dis à la fin de ta lettre "je n'ai
rien à te raconter, si ce n'est que ce matin nous avons constitué le fameux
bataillon d'alerte, j'en fais partie et j'ai été versé dans la 1ère
section de la 1ère compagnie. Malgré cela vous écrirez toujours à la
même adresse. Le bataillon a été formé ce matin et à midi. 25 de la 25e
compagnie étaient désignés pour partir immédiatement, étaient habillés cette
après-midi et partent demain matin à neuf heures, alors maintenant je m'attends
à tout.
Je termine en t'embrassant de tout cœur ainsi qu'Odette.
M.
Evrard
Adresse du bataillon d'alerte: 9 e bataillon 1ère compagnie 1ère section 3e
escouade
Ecrire toujours à cette adresse: 79e d'infanterie
25e compagnie 4e
section 12e escouade Decize
Lettre à Madame Albert Demarquay | ![]() |
Ton frère qui t'envoie mille baisers de Decize.
M. Evrard
79 e d'inf. 26e
comp. 3e sect. Ancienne mairie Decize
Lettre à Mademoiselle Odette Demarquay, | ![]() |
Decize
jeudi 6 mai 1915
Mille baisers à ta mère. Ton oncle qui t'embrasse. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Mercredi 19 mai 1915
Ton frère qui t'embrasse bien fort.
M.
Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
23 mai 1915
Mille baisers à toi et à Odette. Ton frère qui pense toujours à toi.
M.
Evrard
Lettre à Madame Albert Demarquay | ![]() |
27 mai 1915
M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Yzel-lez-Hameau, près d'Arras
30 mai 1915
Ma chère Marie
J'ai reçu enfin hier soir tout un paquet de lettres, 2 à toi, 2 à
papa et une carte à Odette. Comme tu le dis dans le tienne du 18, il n'y a rien
qui vous fait plaisir que de recevoir des nouvelles. Ca retardera peut-être ma
lettre, mais j'ai pris la hardiesse de mettre en tête le nom du patelin où je
suis en repos et où j'espère encore rester plusieurs jours. Tu me dis que
Raymond demande toujours si je suis en avant ou en arrière. Tu pourras lui dire
que sur les dix jours que j'ai passés au feu, j'ai été six jours en deuxième
ligne et les quatre derniers jours en première passant la nuit en petit poste
vingt mètres en avant de nos lignes, en avant de notre réseau de fils de fer,
couché à plat ventre dans un trou de percutant, à cent cinquante mètres des
boches, et entre les heures de petit poste, j'enterrais les morts, depuis dix
jours je te parle que ça sentait mauvais, surtout que la plupart de ces morts
étaient bien abimés.
Enfin voilà la correspondance qui rapplique car je reçois à
l'instant encore 4 lettres, ça fait neuf avec celles d'hier. Tu ne feras pas trop
attention à mon écriture, parce que j'écris sur mon genou et donc ce n'est pas
facile.
Mille baisers à Odette et tous mes remerciements pour sa carte.
Ton
frère qui pense à toi et qui t'embrasse.
M. Evrard
02 juin 1915
Ma chère Odette
J'ai reçu hier ta lettre du 28 mai, elle m'a fait grand plaisir de
recevoir quelques mots de toi. Tu me parles de mes petites bêtes, elles sont
très difficiles à faire partir, mais depuis que je suis en repos, je m'en suis
débarrassé en grande partie. Tu ferais bien de me dire dans quel régiment se
trouve ton oncle Paul car il n'est peut-être pas loin de moi de même que
Legagnoux et Meslé qui sont, paraît-il, du même côté. Quant à aller à la messe
le dimanche, ça m'est absolument impossible car nous ne sommes pas dans un pays
mais dans un hameau et l'église se trouvant assez loin, avec les corvées qu'il
y a toujours il y a pas mèche de s'y
rendre seul. Dans les tranchées, c'est très facile de voir l'aumônier
qui y circule toujours.
A bientôt. Ton oncle qui t'embrasse. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Manin (Pas-de-Calais)
Vendredi 11 juin 1915
Ma chère Marie
Ton frère qui pense à toi.
M. Evrard
P.S. J'oubliais de répondre à une de tes questions: j'ai bien reçu
tes lettres envoyées à Decize. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Dimanche 13 juin 1915
Tu embrasseras bien ta mère ainsi que maman Louise, ma tante
Alphonsine de ma part et dans l'espoir de nous revoir aux vendanges comme tu le
dis, je t'embrasse fort.
Ton
oncle. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Samedi 19 juin 1915
Ma chère Marie
Enfin je termine où j'avais presque commencé pour t'embrasser ainsi
qu'Odette et pour que tu souhaites bien de bonjour à Albert pour moi.
Mille baisers de ton frère.
M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Mercredi 23 juin 1915
Ma chère Marie
Pour la nourriture, je crois t'en avoir parlé dans ma dernière
lettre et t'avoir dit qu'elle n'était pas abondante, mais, que veux-tu, nous
avons toujours un morceau de chocolat ou une boîte de conserve à manger quand
la faim nous pousse un peu trop. On a soin de faire ses petites provisions
lorsque nous sommes au repos, et je crois que nous allons y aller ces jours-ci,
nous allons probablement être relevés d'ici deux ou trois jours, ce qui me
permettra de toucher ton colis et celui à Charles qui, je pense, doivent être
arrivés.
Tu me dis que l'on est en train de quêter dans Carrières pour
faire un hôpital militaire chez madame Thoyot, mais monsieur le Curé m'avait
déjà écrit une fois que l'on était en train d'en fonder un chez Calvet-Rogniot,
est-ce que ce premier projet serait tombé à l'eau ou a-t-il réussi et
essaierait-on de refaire un deuxième hôpital, tu serais bien aimable de me
renseigner là-dessus.
Enfin je vais terminer, car je serais, je crois, encore forcé de
prendre une autre feuille et de ce coup tu me croirais devenu fou.
Souhaite bon courage à Charles pour ses photos et surtout
recommande-lui de la patience.
Bien de bonjour à Albert de ma part. Mille baisers à toi et à
Odette.
Ton frère qui ne t'oublie pas.
M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Mercredi 30 juin 1915
Je ne sais s'il fait à Carrières le même temps qu'ici, mais ici
c'est vraiment pitoyable, il pleut presque sans discontinuer, il serait temps
que cela cesse afin que les boyaux soient propres lorsque nous allons retourner
au feu. Rien n'est plus désagréable que d'avoir toujours de la boue jusqu'au
dessus des souliers.
J'espère que vous êtes avec Odette tous deux en bonne santé et je
vous embrasse mille fois.
M. Evrard
15 Grande rue – Carrières-sous-Poissy
(Seine-et-Oise)
Dimanche 4 juillet 1915
Comme tu vois, ma lettre va être très courte, car je n'ai plus
rien à te dire, si ce n'est qu'à souhaiter bien de bonheur à Albert de ma part,
car en ce moment les cartes me font défaut et le papier se fait rare, n'ayant
pas pensé à renouveler ma collection.
Mille baisers à toi ainsi qu'à Odette.
Ton filleul qui ne t'oublie pas. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Barly (Somme)
9 juillet 1915
Dans ta lettre, tu me fais un reproche que j'ai eu du mal à
digérer à propos des correspondances. Je ne comprends pas que toi et Charles
recevez mes lettres alors que papa ne reçoit pas les siennes. Je n'écris jamais
à vous sans écrire chez nous.
Mille baisers à Odette et merci de son trèfle à quatre feuilles.
Ton frère qui t'embrasse. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Barly
12 juillet 1915
Vous voilà "bretonnisés" maintenant, vous devez avoir
bien plus de mal que moi en ce moment, faire la moisson est un travail assez
fatiguant, alors que moi au repos je ne fais rien ou presque rien, pense donc,
deux heures d'exercice le matin et une demi-heure de théorie l'après-midi, le
reste de la journée à laver mon linge, en cantonnement on est bien forcé de
faire sa lessive soi-même. A propos de ce sujet, il nous est arrivé une
aventure lors de notre dernier repos. Comme notre linge était très sale après
les quinze jours de tranchées que nous avions faits et en surplus qu'il y avait
un peu trop de vermine dedans, nous prîmes la résolution à trois ou quatre de
le faire bouillir. Sitôt dit, sitôt fait, on dégotte une vieille bassine et
dedans on entasse sans aucun ordre chaussettes rouges, gilets de flanelle,
chemises, cravates bleues, etc. etc. et on fait du feu dessous. Lorsque le tout
eut bien bouilli et qu'on se mit à retirer notre linge, il était joli, il
n'avait plus de crasse ni de poux, seulement tout était déteint les uns sur les
autres, les gilets de flanelle étaient mordorés, les chemises avaient une
manche rouge, l'autre bleue, une devant violet et une bannière verte, c'était
comique. Ca fait que maintenant j'ai dans mon sac du linge aux couleurs des
alliés, c'est-à-dire multicolore. Quant au reste de la journée, on le passe à
manger, dormir, ou à écouter la musique; tous les soirs, la musique du 79e
donne un concert à Barly. Tu vois que pour le moment je ne suis pas malheureux,
mais malgré cela, c'est encore loin de compenser les deux mois passés autour de
Neuville-Saint-Vaast, puisque ta mère me demande encore où je me suis cogné !
Pauvre pays qui fut peut-être aussi grand que Carrières, il ne reste plus à
l'heure actuelle que les fondations. A la place du pays il ne reste plus qu'un
amas de décombres, mais je m'arrête, car chercher à te donner un aperçu du
champ de bataille, c'est inutile, je n'y arriverai jamais et voilà que le
papier va bientôt me faire défaut, la place se fait de plus en plus petite pour
te recommander de souhaiter bien de bonjour à ton père dans ta prochaine
missive et de bien embrasser ta mère pour moi en la remerciant de t'avoir
écoutée pour écrire.
Ton oncle qui t'embrasse fort.
M. Evrard
Lettre à Monsieur Albert Demarquay
21e d'infanterie
territoriale – Conducteur – Dépôt des chevaux malades – Rouen
Mardi 20 juillet 1915
Mon cher Albert
Tu m'excuseras si j'ai été longtemps sans t'écrire, mais ayant
changé de secteur, nous avons été plusieurs jours à voyager et je n'ai pas eu le
temps d'écrire. Je suis toujours en bonne santé et j'espère que tu es de même.
Ton frère qui te serre la main. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Jeudi 22 juillet 1915
Ma chère Marie
Tu me dis que vous avez bien ri quand vous avez lu l'histoire de notre
lessive mais j'en ai oublié un chapitre. Figure-toi, lorsque j'ai voulu rincer
mon gilet de flanelle dans la rivière, je m'aperçus que j'avais oublié de vider
la pochette, ainsi j'avais fait bouillir aussi de l'or et des billets de cents
sous. Heureusement qu'ils n'étaient pas abimés, je n'eus qu'à les faire sécher
au soleil.
Je ne savais pas qu'André était passé sergent, ni qu'il avait la
croix de guerre. Il m'écrit assez souvent, jamais il ne m'en a parlé. S'il n'a
eu que quatre jours de permission, c'est peu. Chez nous, on donne six jours à
ceux qui sont près et huit jours à ceux qui sont loin du front, ça vaut le
coup.
Maintenant
j'ai beau fouiller ma tête, je ne vois plus rien à te
dire, si c n'est qu'à t'envoyer, ainsi qu'à Odette, mes meilleurs
baisers. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
1er août 1915
En attendant ta
réponse, reçois, ainsi qu'Odette, mes meilleurs baisers. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Lupcourt
5 août 1915
Premièrement tu me demandes ce qu'est devenu mon homonyme ? Ma
foi, je n'en sais trop rien. Je ne sais pas s'il a été tué ou blessé mais il
n'est plus au régiment depuis le commencement de mai.
Deuxièmement: si j'ai des copains des environs de Carrières ? A
part quelques poilus de Paris, le régiment est devenu une vraie Babylone, à
chaque relève, nous recevons des renforts de dépôts différents. Le dépôt du 79e
étant [illisible] le dernier renfort
était composé rien que de Bretons et l'avant dernier des environs de Bourges.
Quant aux Nancéens, Parisiens et Versaillais qui composaient le régiment
primitif, il n'en reste presque plus, ayant été soit tués, blessés, ou évacués
pour maladies.
Troisièmement. Quant aux conserves, je crois déjà avoir dit mon
goût. Toutes les conserves que j'ai reçues étaient toutes bonnes, à part cette
fameuse langouste qui n'avait pas grand goût.
Enfin, la place commençant à diminuer, je termine en t'envoyant la
photo d'un Hindou et ainsi qu'à ta mère mes meilleurs baisers. M.
Evrard
Lettre à Madame Albert Demarquay
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Je suis peiné de voir qu'il fait le même temps à Carrières qu'ici,
ce n'est pas comme tu dis de la brouillasse mais une journée de chaleur torride
suivie de deux jours d'orage, ce qui fait que dans la plaine les avoines sont
comme à Carrières, encore en tas, et pareil comme rendement aussi deux grains à
chaque épi, c'est plutôt maigre.
J'ai été très heureux d'apprendre qu'Albert était guéri car je me
demandais ce qu'il pouvait avoir attrapé lorsqu'il m'écrivait qu'il était à
l'infirmerie.
Tu me dis que tu as vu la photo prise à Trouville lorsque nous
étions aux bains de mer, je serais bien content de voir la tête que nous faisons
tous, je t'envoie la tête de l'hypnotiseur comme tu dis; tu remarqueras le
contrejour épouvantable qu'il y a, c'est ce qui me fait nécessairement
l'opérateur et me fait avoir des prunelles blanches qui tranchent forcément sur
le reste de la photo.
Enfin je termine en t'embrassant fort ainsi qu'Odette.
Ton frère qui ne t'oublie pas. M.
Evrard
Lettre à Mademoiselle Odette Demarquay, | ![]() |
Samedi 21 août 1915
Mille baisers à Lolotte et tous mes compliments pour son écriture,
je vois qu'elle fait des progrès.
Bien de bonjour à ton père et à ta mère.
Ton oncle qui t'embrasse bien fort. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Mardi 24 août 1915
J'ai été peiné de savoir que Charles avait été obligé de battre le
jour de l'Assomption, je vois que vous avez plus de mal, que vous vous faites
plus de bile que nous. Le jour de l'Assomption, j'ai été à la grand-messe qui
était superbe, car bien que le pays n'ait que quatre à cinq cents habitants
environ, il y avait trois prêtres ce jour-là pour la servir, les deux aumôniers
du 79e et le curé de la paroisse. La veille il y avait eu messe
spéciale pour les militaires pour l'anniversaire du baptême du feu du vingtième
corps et tous les dimanches l'église est toujours pleine en grande partie par
les soldats. Mais si la troupe prie, il faut dire aussi qu'elle s'amuse. Il y a
une quinzaine de jours environ, plusieurs artistes du régiment donnaient devant
le colonel dans le parc du château une soirée très réussie. Ils jouèrent deux
pièces qui obtinrent un très grand succès: le fameux drame "Les
Oberlé" et le vaudeville non moins fameux "L'anglais tel qu'on le
parle", pendant les entr'actes la musique du régiment jouait ses meilleurs
morceaux. Cette soirée eut tant de succès que ses auteurs recommencent
aujourd'hui avec une comédie en trois actes "Durand et Durand" et
intermèdes de pistons et de violon par deux premiers prix du Conservatoire, ça
promet encore. J'oubliais de te dire que c'est fête parmi nous aujourd'hui Lupcourt est ornée de feuillage et de
drapeaux; de place en place des guirlandes de fleurs ornées par des croix de
Lorraine en fleurs également traversent la route. Ce matin toute notre
division, c'est-à-dire une cinquantaine de mille hommes: infanterie, cavalerie,
artillerie fut passée en revue par le président de la République accompagné du
roi des Belges, du ministre de la guerre, du général Joffre, des attachés
militaires russes, anglais, japonais, italiens etc. etc. devant lesquels nous
eûmes l'honneur de défiler avec les régiments de la division marocaine qui
étaient là aussi et qui reçurent des mains du président leurs drapeaux. Bien
que nous défilions par seize de front, il y en eut pour un bon bout de temps,
aussi avons-nous repos complet cette après-midi. Tu t'en apercevras car je
crois que je ne t'en ai jamais tant écrit, tu vois qu'avec le temps et du
courage j'arrive presque à noircir le papier autant que toi. Embrasse bien
toute la famille pour moi et en attendant que j'aie de nouveau le plaisir de te
lire, je t'envoie mes meilleurs baisers.
Ton frère et filleul qui ne t'oublie pas. M. Evrard
Jeudi 2 septembre 1915Lettre à Madame Albert Demarquay
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Bien de bonjour à Odette.
Ton frère qui t'envoie ses meilleurs baisers. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
Dimanche 5 septembre 1915
Ton oncle qui t'embrasse.
M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
11 septembre 1915
Si tu nous voyais ma chère Marie, tu ne reconnaîtrais jamais
l'uniforme français, nous avons tous l'air boche avec nos casques, car
maintenant nous avons des casques en tôle d'acier dans le genre des casques de
pompiers, mais très solides, et surtout très pratiques, paraît-il, contre les
éclats des bombes et des grenades, on a l'air de pompiers en goguette.
Enfin ma chère Marie, je vais te charger d'une commission:
embrasse bien toute la famille pour moi, n'oublie pas maman Louise surtout.
Ton frère qui t'embrasse et qui ne t'oublie pas. M. Evrard
15 Grande rue –
Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise)
16 septembre 1915
Tu voudrais savoir si nous avons beaucoup d'ouvrage. Tu t'imagines
que nous sommes dans les tranchées pour tirer, tu es absolument dans l'erreur.
Voilà aujourd'hui quatre mois que je suis au front, eh bien si j'ai tiré vingt
coups de fusil, c'es tout. La principale ouvrage du fantassin, c'est de
recevoir toutes sortes d'engins sur la tête et un coup la rafale passée de
prendre la pelle et la pioche et de refaire tranchées et boyaux qui se trouvent
éboulés. Pour te faire une idée du travail que nous avons: hier j'ai été de
garde, j'ai passé la nuit couché sur le bord d'une route enroulé dans ma
couverture et ce soir nous repartons aux tranchées pour plusieurs jours afin de
travailler la nuit. Ainsi tu vois que souvent le jour le sommeil m'emporte et
je ne puis écrire malgré toute la bonne volonté que j'essaie d'y mettre.
Tu me demandes aussi si j'écris quelquefois à monsieur le Curé ou
aux copains. Tu as vu plus haut que je n'ai guère le temps de vous écrire,
aussi la correspondance avec eux laisse peut-être un peu à désirer, aussi
chaque fois que le temps me le permet, je leur envoie un petit mot à tous.
Maintenant tu diras à grand-mère que je n'ai pas besoin pour le
moment de vêtements de laine car le temps est encore assez doux, ainsi que je
te le disais plus haut. J'ai passé la nuit couché dehors, eh bien je n'ai pas
eu froid du tout.
Enfin tu me demandes si je vois souvent des avions, lorsque nous étions
du côté de Nancy, c'était par vingt-cinq ou trente à la fois que nous les
voyions passer, se dirigeant vers les pays annexés. Quant aux combats, j'en ai
déjà vu énormément, dont deux tragiques à notre détriment, le premier à
Neuville entre un Tauben et un Voisin; au bout de quelques minutes notre
appareil se disloqua et tomba en morceaux. C'était émouvant de voir les corps
des deux aviateurs tomber comme des pierres de plusieurs centaines de mètres de
hauteur dans les lignes ennemies. Enfin le second combat eut lieu il y a une
huitaine de jours où nous sommes, le même dénouement que le premier.
Je crois avoir répondu à toutes tes questions. Maintenant il me
reste à te charger de plusieurs commissions.
Aide grand-père et grand-mère le plus que tu pourras, essaie de me
remplacer un peu.
Embrasse bien ta mère ainsi que maman Louise, ma tante Léonie, mon
oncle Auguste de ma part. Mille baisers aussi à Charlotte et Rolande.
Ton oncle qui t'embrasse fort.
M. Evrard
Lettre à Madame Albert Demarquay | ![]() |
(non-datée, cachet de la poste du 21 septembre
1915)
15 Grande rue – Carrières-sous-Poissy
(Seine-et-Oise)
Vendredi 24 septembre 1915
Quant à tes conseils, je ferai mon possible pour les suivre. Mais,
que veux-tu, lorsque tu m'interroges, je suis bien forcé de répondre, et comme
Lucie ou grand-père ne m'interrogent jamais, je suis la plupart du temps bien
embarrassé pour leur écrire.
Dans l'espoir de bientôt boire le vin nouveau ensemble, reçois ma chère Odette les baisers de ton oncle. M. Evrard
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Maurice EVRARD fut tué le lendemain, 25 septembre 1915 à la Butte du Mesnil. Sa dernière lettre, postée le 25 septembre, arriva à Carrières-sous-Poissy le 2 octobre.
100 ANS PLUS TARD... Huit
arrière-petits-neveux et nièces et une arrière-arrière-petite-nièce
se sont rendus à la Butte du Mesnil pour rendre hommage à leur
ancêtre... C'était le lundi 21 septembre 2015. Le paysage a bien changé depuis les évènements de la Grande Guerre... La végétation a repris ses droits et plus rien ne semble rappeler les terribles combats qui s'y sont déroulés. Il faut néanmoins ne pas trop se fier à ce calme: dans la végétation se cachent de nombreux débris de toutes sortes, dont certains peuvent parfois encore tuer un siècle plus tard. La Butte du Mesnil se trouve aujourd'hui enclavée dans le camp militaire de Suippes. Je remercie le lieutenant-colonel commandant le centre d'entraînement interarmes et du soutien logistique - 51e régiment d'infanterie - de Mourmelon, qui nous a autorité la visite du site, et le personnel du camp militaire de Suippes qui nous a guidés à la Butte du Mesnil, nous a également fait découvrir les ruines de la ferme de Beauséjour, de l'église de Mesnil-les-Hurlus, de l'église des Hurlus, communes qui, se trouvant sur la ligne de front, ont été totalement anéanties. Nous avons eu le plaisir de rencontrer Michel DELANNOY qui a réalisé un très beau livre sur son grand-père le capitaine LONGUET, ainsi que Éric MARCHAL qui nous a conseillé la visite de la Main de Massiges et nous y a rejoints. Philippe HONORÉ |
Merci à toutes les personnes qui m'ont aidé, grâce à leurs documents et à leurs témoignages, à réaliser cette page: Michelle EVRARD-HONORÉ, Robert QUÉRÉ (†), Anne-Marie EVRARD-DELAHAYE, Maurice EVRARD (petit-neveu de Maurice EVRARD), et surtout Odette DEMARQUAY-EVRARD (†) qui conserva tous ces documents nous permettant ainsi de reconstituer presque un siècle plus tard l'histoire de ce Carriérois.
- La bataille de Champagne - 25 septembre 1915
- Wikipédia: la seconde bataille de Champagne
- Le monument aux morts de Carrières-sous-Poissy
- Généalogie de Maurice EVRARD (GENEANET)
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