19 septembre 1958
 

Il y a 62 ans, le 19 septembre 1958 :

collision aérienne au-dessus de Carrières-sous-Poissy et Triel-sur-Seine.

(Article paru dans numéro 78 de la revue Chronos du C.E.H.A. en 2018, avec quelques modifications et mises à jour. )



Le Réveil, 24 septembre 1958

En cette fin d'été 1958, le vendredi 19 septembre exactement, la récolte des fruits battait son plein dans la plaine de Carrières. Mes grands-parents Antoine et Odette EVRARD possédaient un champ de poiriers en bordure de la route de Chanteloup, au lieu-dit « la Fosse à goudron », à environ un kilomètre de Carrières, à un endroit qui permettait une vue bien dégagée sur toute la plaine. En compagnie de cousins et cousines de mon âge, je profitais des derniers jours de vacances dans les champs : la rentrée scolaire, dans la France encore très rurale de l'époque, n'avait lieu qu'au début du mois d'octobre. Notre plaisir était de nous promener sur les chemins, de monter sur le traîneau tiré par le tracteur pour la distribution des caisses à fruits, pendant que les adultes travaillaient.


Le Courrier Républicain de Seine et Seine-et-Oise, 24 septembre 1958

En fin de matinée, vers 11h30, une sourde explosion interrompit nos jeux. Nous crûmes tout d'abord au bang d'un avion à réaction qui franchissait le mur de son, chose fréquente à cette époque. Puis, levant les yeux, nous vîmes un gros avion qui chutait dans le ciel en direction du hameau des Grésillons. Les flammes jaillissaient de son fuselage et il termina rapidement sa course vers le sol dans une gerbe de flammes, tandis que des débris métalliques flottaient encore dans l'air en étincelant au soleil.


Le Courrier Républicain de Seine et Seine-et-Oise, 24 septembre 1958

C'est plus tard que nous apprîmes ce qui s'était réellement passé : un avion de transport de l'armée de l'air américaine était entré en collision avec un chasseur de l'armée de l'air française.

L'avion français était un Super Mystère B2 construit par Dassault et appartenait à la 10e Escadre de Chasse de Creil, dans l'Oise. Le SMB2 était un avion très récent, qui équipait les 5e, 10e et 12e Escadres depuis mai 1958. Le pilote procédait à des essais après la révision de son appareil.


Un Super Mystère B2 à Istres en 1958 (Photo Dassault Aviation)

L'avion américain était un Hercule C-130A construit par Lockheed. Il appartenait à la 314e Escadre de transport de troupes de l'USAF (United States Air Force) et il était basé à l'aéroport d'Evreux (Eure). C'était également un avion très récent puisqu'il datait de 1957. Il venait de décoller d'Évreux et se rendait à Spangdahlem, base aérienne américaine située près de Trèves, en Allemagne. Son équipage était composé de 5 militaires et d'un passager.


Un Hercule C-130A en 1955 (Photo USAF)

L'Hercule C-130 : https://aviation-safety.net/database/types/Lockheed-C-130-Hercules/index

Le Super Mystère s'écrasa dans la rue Henri Derain à Vernouillet. Un moteur tomba dans les champs, et une dynamo dans la cour du cordonnier. Le corps du pilote fut retrouvé par la garde-barrière à proximité du passage à niveau de la voie ferrée Paris-Mantes.

L'Hercule C-130 s'écrasa aux Grésillons, au fond d'une carrière appartenant aux Sablières Modernes. Un moteur fut retrouvé, profondément enfoncé dans le bitume de la piste cyclable entre Carrières et Triel, un autre dans un champ. Selon plusieurs témoins, le pilote américain a tenté jusqu'à la dernière minute de redresser son appareil et a réussi à éviter qu'il ne s'écrase sur les bureaux des Sablières Modernes.

Différents débris furent retrouvés éparpillés sur les communes de Carrières-sous-Poissy, Triel-sur-Seine, Chanteloup-les Vignes et même à Jouy-le Moutier où l'on retrouva le siège éjectable et des débris de parachute du Super Mystère.

Par miracle, mais aussi grâce aux réflexes du pilote américain, aucune victime ne fut à déplorer au sol, et les dégâts matériels furent minimes : seules quelques toitures et des clôtures furent légèrement endommagées.

Selon le rapport du Ministère des Armées, la collision avait eu lieu à une altitude d'environ 22500 pieds (soit 6858 mètres) par beau temps, entre Carrières-sous-Poissy et Triel-sur-Seine. Le C130 était en montée et arrivait à son altitude de croisière, le SMB2 était à faible vitesse, train sorti, probablement en essai de décrochage. Les deux appareils se sont accrochés par l'aile gauche. Le rapport conclut à une responsabilité partagée : celle du pilote du SMB2 « qui aurait dû regarder autour de lui avant de s'absorber dans la lecture de ses instruments » ; celle de l'équipage du C130 « qui disposait de plusieurs paires d'yeux pour assurer la surveillance du ciel. » Les deux équipages, « probablement absorbés par leurs manœuvres de pilotage, ont négligé la surveillance du ciel et se dirigeaient l'un vers l'autre sans se voir. » Différents examens ont permis de conclure qu'ils s'étaient rencontrés sensiblement de face.

La collision fit sept victimes.

Le pilote français, Guy Rouxel, 25 ans, originaire de Riaillé en Loire-Atlantique, marié et père d'un petit garçon de neuf mois. Il repose à Allaire, dans le Morbihan.






Sergent Guy ROUXEL
(23 février 1932 - 19 septembre 1958)
L'Écho du Pays de Redon 
(27-09-1958)
Sépulture de Guy ROUXEL
à Allaires (MORBIHAN)

(Photos Marie-Noëlle JOUAN)


Six Américains : le capitaine Howard K. Grasher, âgé de 36 ans ; marié et père de cinq enfants ; il avait participé à la Seconde Guerre mondiale et à la Guerre de Corée ; il a été inhumé à Fort Worth (Texas) ; le lieutenant Elmer Eugene Fawcett, âgé de 24 ans, qui a été inhumé à Helena (Oklahoma) ; le lieutenant Charles Wesley Tillou, 24 ans, qui a été inhumé à Bloomfield (New Jersey) ; l'aviateur 1ère classe Robert William Hancock, 21ans, qui a été inhumé à Malden (Massachusetts) ; l'aviateur 2e classe Frank Milan Braun, 21 ans, qui a été inhumé à North Versailles (Pennsylvanie). L'identité du passager est inconnue.

MEMORIAL : http://www.usaf317thvet.org/memorial.html

Robert Hancock : http://www.usaf317thvet.org/scrapbook.html

Voir le paragraphe [The following Airmen died in the midair collision of C-130A (56-0526) with a French fighter over France on Sept. 19, 1958.
Howard Grasher, Elmer Fawcett, Charles Tillou, Robert W. Hancock, Frank M. Braun, David McGrath  ]





Howard K. Grasher Elmer Eugene Fawcett Frank Milan Braun Robert William Hancock

Comme souvent dans ce genre d'affaire, les rumeurs les plus folles coururent par la suite. Il faut rappeler qu'en septembre 1958, la situation politique n'est pas très sereine. La France est en pleine guerre d'Algérie. La IVe République vit ses derniers jours : le Général De Gaulle, rappelé par René Coty, est chef du Gouvernement. Il propose une nouvelle Constitution qui sera votée par référendum le 28 septembre, instituant la Ve République. Sur le plan international, nous sommes en pleine Guerre froide : quelques jours auparavant, le 2 septembre, un autre Hercule C-130 de l'USAF, similaire à celui qui s'est écrasé à Carrières, a pénétré, dans des circonstances mal élucidées, dans l'espace aérien de l'Arménie [qui est à l'époque une république de l'U.R.S.S.] à la frontière turque, et a été abattu par un MiG 17 soviétique, faisant 17 morts.

Dans ce lourd contexte, l'enquête a conclu à un simple accident dû à l'inattention des équipages. Pour éviter qu'il se reproduise, elle a suggéré la présence d'un avion d'accompagnement pour surveiller le ciel lors des vols d'essais, elle a recommandé l'obligation d'effectuer tous les vols d'essais sous contrôle radar. Elle a également préconisé d'imposer aux avions de ligne des couloirs aériens parfaitement définis qui seraient interdits aux autres appareils et un contrôle unique du trafic dans la région. En attendant l'évolution de la réglementation rendue nécessaire par l'augmentation constante du trafic aérien, il fut décidé d'exécuter les essais de la 10e Escadre de chasse « uniquement sous contrôle serré radar et dans le secteur Nord-Est du terrain de Creil. »

Philippe HONORÉ

Sources :

Sites Internet

Documents photos et informations de la famille ROUXEL, de Daniel BARON et Marie-Noëlle JOUAN ("Groupe Patrimoine d'Allaire").

Archives Départementales des Yvelines (presse locale : Les Échos de Seine-et-Oise, Le Réveil, Le Courrier Républicain de Seine et Seine-et-Oise).

Presse locale : L'Écho du Pays de Redon.

S.H.D. (Service Historique de la Défense – Vincennes).

Témoignages locaux : Pierre Loncle, Bernadette Girard Hajost, Joseph Honoré.



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